Ce qu’on en dit dans les blogs - Roman Baruffa

ISABELLE BARY a signé avec Baruffa un roman très travaillé et abouti. Elle y narre quelques années de la vie d’Alice, depuis l’année dite « de la colombe » jusqu’à celle associée à la fouine, celle du temps présent de la narration, pendant laquelle elle revient sur son histoire. Plus particulièrement, elle se souvient de l’irruption de Diane dans son existence, une manipulatrice qui s’immiscera dans chacune de ses relations pour prendre sa place, un « hippopotame » qui aura raison de la frêle « colombe » qu’elle était alors. Malgré le drame de cette situation, elle saura se reconstruire petit à petit, grâce à de nouvelles rencontres, à sa famille et à ses lectures. Chaque animal ainsi associé à une année de vie se répercute sur la narration et devient une clé de lecture.

Sous la légèreté fantaisiste de ce procédé animalier, le roman est néanmoins plus profond qu’il n’y paraît et atteint le lecteur en plein cœur par son mélange de drame, d’espoir et d’humour. En effet, si la gravité du sujet n’est pas occultée, un rire semble toujours demeurer dans la tristesse, une forme d’autodérision salvatrice. En outre, Isabelle Bary interpelle en abordant la question de ce qu’est « vivre » ; une vie sans risque en est-elle vraiment une ? Est-il possible de vivre coupé des autres et des sensations ? Comment vivre en étant perpétuellement caché derrière les mots, coupé de la réalité qu’ils désignent ? Ces interrogations, suscitées par le parcours d’Alice, ne peuvent laisser indifférent et s’insinuent profondément dans l’esprit du lecteur. – Même la vie, parfois, n’est pas vraisemblable. Quelle est la proportion de vérité et de fiction dans nos existences ? On est capable de tant imaginer pour transgresser la réalité. Et pour y croire. Souvent sans le savoir. On ne vit de belles histoires que si on s’expose ! Quand on les crée, c’est pareil. Encore un risque à prendre ! [p. 257]

La narration est également très travaillée et réfléchie, ainsi qu’en témoignent des passages réflexifs sur l’écriture, la façon de raconter, ou encore la part de fiction dans la réalité. Le personnage d’Alice, en tant que narrateur, endosse à la fois le rôle d’auteur (scripteur de son histoire) et de lecteur (par le retour sur son passé qu’elle cherche à comprendre et commente, elle se place en spectatrice d’elle-même). Ces multiples positionnements créent une confusion qui, étonnamment, précise l’image du personnage dans l’esprit du lecteur, au lieu de le rendre plus flou, et fait croire en son existence. De même, l’introspection est si bien approfondie qu’une part autobiographique, niée en fin d’ouvrage par la formule traditionnelle, se laisse soupçonner. Néanmoins, qu’importe la vérité de l’auteur à ce sujet, car qui peut dire « quelle est la proportion de vérité et de fiction dans nos existences ? » ; l’essentiel est le message perçu par le lecteur et ce qu’il remue en lui.

Un roman de reconstruction de soi, passionnant et très bien construit.

NOTE | Autour d’Isabelle Bary : tandis que j’ai choisi Baruffa à la Foire du Livre, Laeti a quant à elle préféré lire le dernier roman d’Isabelle Bary, Zebraska.

Baruffa d’Isabelle Bary

Luce Wilquin (Avin), 2009 – 1re publication

Publié par Mina Merteuil le 19.6.15

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Catégories : 21e siècle, Belgique, français, Roman


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Baruffa, Isabelle Bary

Le deuxième roman d’Isabelle Bary, Baruffa, édité chez Luce Wilquin, nous conte la métamorphose d’une femme enfermée dans sa bulle dorée et son ouverture à l’art et à l’écriture, sa découverte d’elle-même. Un roman introspectif tout en vitalité.

Alice est joyeuse et forte, mariée, moderne, pleine d’amis sans qui elle n’existerait pas, croit-elle, incarnant une certaine réussite professionnelle et familiale. Une femme actuelle, avec l’illusion de tout contrôler qui a fait d’elle un personnage performant et opérationnel 24h/24. Puis survient Diane. Une rencontre entre amis, une femme qui fascine puis ensorcelle ; une femme qui, cherchant à être le centre de tout, devient ventouse ou parasite. Insensiblement cette Diane dangereuse envahit la place, trouble Alice, semble la détruire. Et ce progressif chaos provoque une querelle intérieure (« baruffa » en italien), la force à se chercher ailleurs, la mène à goûter l’obscure saveur de s’abandonner à la dérive, au hasard, à d’autres rencontres, d’autres milieux. Et paradoxalement, cette Diane qui a comme sucé la vie d’Alice la rendra à elle-même.

C’est la découverte d’une dimension plus artistique de la vie. Et qui passe par l’écriture, et les mots. Ceux par lesquels Isabelle Bary cherche joliment à rendre compte de ce qui palpite, de ce qui vibre d’émotion, les sens à fleur de peau lorsque l’on se laisse aller à la disponibilité. Des mots parfois même en vrais bouillons.

Et justement, le roman aurait semblé pouvoir être davantage condensé ; il est un peu nombriliste aussi, n’évitant pas, dans la découverte de soi, l’impudeur de parfois se flatter ou la superficialité de chamailleries entre filles. Mais le roman est touchant par cette volonté de sortir de l’ombre, de sortir de l’enfer du jugement des autres, d’apparaître et se faire entendre. Touchant par ce côté autobiographique certainement où l’auteure s’est débattue afin que les mots qu’elle sait manier lui ouvrent un horizon neuf.

Cet article a été publié le Vendredi 27 mars 2009 à 18:22 et est classé dans Littérature. Vous pouvez en suivre les commentaires par le biais du flux RSS 2.0. Vous pouvez laisser un commentaire, ou faire un trackback depuis votre propre site.

Un commentaire pour « Baruffa, Isabelle Bary »

Olivier Stevens dit :

*30 mars 2009 à 13:38 *

J’ai aussi pris beaucoup de plaisir à lire ce « Baruffa » d’Isabelle Bary. Au fil des pages quelques assertions ont le mérite de rattacher l’instinct à la manière. Une espèce de magie des errances polies, timides, dans des villes étrangères. Un fond et une forme qui imposent sa personnalité singulière à ce second roman, plus achevé peut-être que « Le cadeau de Léa ». À ses débuts, on est très entier et donc très pur, comme du diamant, c’est-à-dire coupant aussi… « Baruffa » me fait penser à quelques romans de Patrick Besson, eux aussi « accessibles à certaine mélancolie ».

À coups de vraies-fausses conquêtes, de vrai-faux esclandres et de vraies-fausses controverses, ses personnages se font agitateurs d’un microcosme aux allures un peu étriquées. Ça pourrait ne pas amuser du tout, réveiller les instincts grégaires anti-VIP, mais comme Besson, Isabelle Bary garde les yeux grands ouverts.

Comme disait l’auteur des Braban : « Il ne faut pas voir plus d’un film par semaine, ça suffit, parce qu’ils tiennent à peu près tous le même propos ». A part lire, on aimerait ne pas connaître grand chose de l’air du temps. Dans « Baruffa », on se bouscule sans hâte vers une sortie qui ouvrirait la porte à de larges horizons.

Isabelle Bary s’efface derrière ses personnages qui se plaisent métaphoriquement à jouer aux exilés de la ville, qui la quittent… pour la ville. Aucune interférence de sa part dans la maturation et le destin des acteurs de son roman. Thibaudet, peut-être le plus grand critique du 20e siècle, disait que la vie d’un écrivain n’affectait son œuvre que « pour une part indigne d’une note en bas de page ». Certes Villon s’imagine volontiers, et avec une légère pointe de gêne me semble-t-il, se balançant au bout d’une corde avant d’écrire la « ballade des pendus ». Rabelais, à court de ressources à Maillezais, s’inviterait bien à la table de Gargantua. Mais Nimier n’a jamais eu la mélancolie de ses « Enfants tristes » et on se représente mal le très réservé Sir Arthur Conan Doyle en opiomane invétéré.

Cela fait partie du jeu de Bary comme de Besson. Un jeu conforme à leurs règles : des acteurs souvent doubles qui ne s’en cachent pas. Doubles mais cohérents : contre tous ou presque, ils signent de brillants passages « réactionnaires » c’est à dire en réaction à la pensée dominante. À l’heure d’un hypothétique réveil des foules, ils refusent la révolte consensuelle et la subversion bobo. Une façon de dire « non ». Trois lettres, ça change tout. Tenir à la nuance, aujourd’hui, fait de Rodrigue quelqu’un de cœur, de gueule et de belle allure.